Arca
Depuis maintenant neuf ans, Alejandra Ghersi, mieux connue sous le nom Arca, trace une trajectoire fulgurante à travers l’air du temps – un astre changeant traversant la voûte céleste de la culture. Chaque apparition révèle une nouvelle incarnation : musicienne noise, diva, philosophe, icône de mode, fêtarde, technologue. Et chaque fois qu’on croit la saisir, elle glisse entre nos doigts, insaisissable, en perpétuelle métamorphose.
Cette nature fluide permet à ses talents d’éclore là où on ne les attend pas. En plus d’une œuvre musicale dense et protéiforme, elle a collaboré avec Björk, Kanye West, FKA twigs ; composé pour le MoMA et une console rétro ; mixé aux soirées PREP+ de Frank Ocean ; et performé lors d’un défilé Burberry orchestré par Riccardo Tisci. Elle peint elle-même ses pochettes d’album, a défilé, co-conçu des instruments de musique de nouvelle génération, et bâti une communauté en ligne pour la horde de “mutants” autoproclamés qui la suivent. Des éléments apparemment disparates qui forment, rétrospectivement, une œuvre cohérente, vivante, en expansion constante.
Mais tout cela ne sont que des fragments – des instantanés d’un mouvement perpétuel entre des états successifs. Le véritable médium artistique d’Arca, c’est la transformation elle-même. Elle existe dans un état quantique de potentiel infini, repoussant les limites de ce que la plupart des artistes n’osent même pas imaginer.
« Je ne veux pas être attachée à un seul genre », affirme-t-elle. « Je ne veux pas être étiquetée. »
Son album de 2020 nommé aux Grammys, KiCK i, est un hologramme où coexistent simultanément toutes ses identités musicales – ou du moins, celles qu’elle a choisies de nous révéler. Tournez-le d’un côté : vous découvrez la beatmaker qui a attiré l’attention en 2012 avec les EP Stretch 1 & 2, véritables labyrinthes de club music fractalisée. Tournez-le d’un autre : apparaît un esprit espiègle qui démonte la pop contemporaine pour la reprogrammer à son image. Encore un autre angle révèle une chanteuse latine, née Ghersi, explorant les genres sur scène, hors scène, dans la performance physique et numérique. C’est à travers ce processus qu’elle a affirmé son identité de femme trans non-binaire.
Au fil de son évolution, Arca a dissous les frontières entre l’artiste, son art, et les outils qu’elle utilise. En 2019, elle présente Mutant:Faith au The Shed – une performance en quatre actes utilisant une technologie sur mesure qu’elle a co-conçue : des capteurs myoélectriques lui permettant de jouer de la musique avec ses muscles, une barre de danse de 2,7 mètres produisant du son au contact de la peau, des dispositifs traduisant ses mouvements en notes MIDI. Depuis la pandémie, éloignée de la scène, elle poursuit ses expérimentations – par exemple en utilisant un logiciel de l’entreprise londonienne Bronze pour générer 100 remix d’IA de son morceau Riquiquí.
Parfois, Arca semble être un éclat venu d’un futur possible, projeté dans notre présent. Et si son œuvre – et elle-même – peuvent paraître issues d’un roman de science-fiction, rien de tout cela n’est purement théorique. Elle incarne le changement, comme un phare extradimensionnel, nous guidant vers des mondes encore inexplorés, injectant des fragments d’ADN alien dans notre code mental. Ses idées musicales résonnent à tous les niveaux de la pop. Les instruments expérimentaux qu’elle développe ouvrent la voie à des contrôleurs corporels accessibles au grand public. Son groupe Mutants1000000 sur Discord est devenu un refuge pour celles et ceux qui partagent son rêve : refaçonner le monde à leur image, avec un potentiel de transformation que même Arca ne peut prédire.
L’image de couverture de KiCK i incarne cette phase de son évolution : elle y apparaît droite et immobile, les courbes douces de son corps presque nu prises dans l’étreinte métallique d’un exosquelette cybernétique. Ses jambes échassières lui donnent une allure animale menaçante, et de longues griffes recourbées tombent de ses poignets. Machine de guerre au repos, son visage reste pourtant serein. Elle a vu le futur – et maintenant, elle nous invite à le créer avec elle.
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